Des « églises portatives » pour lutter contre les sorciers

Partie 5 de l’enquête “Nouveaux christianismes”
publiée par Le Monde.fr , le 08.07.2015  (Lien vers l’article sur Le Monde

Une église catholique à Maroua, au nord Cameroun.

Outre ces « grandes » églises, souvent de type évangélique et pentecôtiste, on dénombre de nombreux groupes et groupuscules néopentecôtistes. Ils sont nourris par un essaimage qui renvoie au modèle des « églises portatives », conduites par des leaders charismatiques à forte autorité, qui se démarquent par leur capacité à rassembler des adeptes dévoués, aptes à structurer une communauté. « House Churches », « Home Churches », « Home Communities », « églises maisons »… Au Cameroun, ces « églises portatives » semblent entrer en concurrence avec les mégachurches pentecôtistes depuis la fin du siècle dernier.

« Après une période de contention du pentecôtisme par les autorités camerounaises, qui se méfient d’un courant dont les membres font preuve d’un intense activisme prosélyte et développent un discours religieux protestataire, les années 1990 sont celles de l’explosion », affirme la géographe Maud Lasseur.

On observe sur le terrain camerounais, durant cette période, une accélération des micro-implantations pentecôtistes et néopentecôtistes. Elles sont nourries par un entreprenariat prosélyte qui recourt à des stratégies très diversifiées : fissiparités, divisions, représentations, création-fondation, surinvestissement dans les médias. Cela conduit à une multiplication des chapelles et des lieux de culte.

Les autorités administratives annoncent près d’un demi-millier de groupes religieux, respectivement à Douala et à Yaoundé. Une bonne part de ces « églises portatives » se différencie de la surenchère à la guerre spirituelle, parce que leur discours porte davantage sur l’accompagnement des fidèles dans une logique d’affinité.

« On propose des solutions de proximité, personnalisées et qui sont assez efficaces pour protéger nos fidèles de ces gourous envahisseurs », rapporte Didier, pasteur d’une église de maison à Nlongkak.

Ces propos expriment les mobiles profonds de bon nombre de ces fondateurs « d’églises portatives », qui prennent leur distance par rapport aux surenchères spectaculaires des mégachurches obsédées par la lutte antisorcellaire farouche.

Que ce soit les petits comme les grands groupes pentecôtistes et néopentecôtistes, tous cherchent à se propager et à accroître le nombre de leurs fidèles. Elles se déploient par des « solutions de proximité » en vue de s’éloigner des dérives des méga-églises et cherchent à reproduire le modèle, décrit comme « biblique », des églises de maison.

Sur cette lancée, elles ont pour objectif de dépasser en effectif les « églises géantes ». Avoir les fidèles à l’œil, les éclairer sur les dérives de la chasse aux sorciers, amener l’église à croître rapidement, à reproduire la stratégie d’accompagnement personnel attribuée à Jésus, restent leurs leitmotivs. Ces modes opératoires de réinvention de la tradition se heurtent à l’innovation des mégachurches.

Quand les uns critiquent la médiatisation à outrance et la diabolisation des sorciers par les « églises géantes », les autres se moquent des réunions de deux ou trois personnes. Les pasteurs de Yaoundé connaissent par cœur la boutade de l’évêque Christian Raymond Ngwu « where two or three are gathered » [là où deux ou trois sont réunis].

Être pasteur d’une « église de maison » donne moins d’audience. Certes, mais leur explosion attire les déçus des tenants du combat spirituel. Portées contre l’offre sorcellaire, les églises géantes ne font désormais plus l’unanimité. Leurs leaders sont fréquemment accusés de nombreux travers, de détournements de fidèles, de manipulation, d’extorsion et de violence anti-sorcellerie.


L’auteur, Sariette Batibonak termine une thèse d’anthropologie à l’université d’Aix-Marseille, intitulée « Pentecôtisme et violence du discours sorcellaire au Cameroun », sous la direction de Dionigi Albera et Sandra Fancello. Cet article est issu du numéro spécial d’Afrique Contemporaine n° 252 sur les « nouveaux christianismes en Afrique »